La P’tite Interview de Carine Figueras

Retour sur l’exposition de Carine Figueras,

Le vol du ver à soie  

 

  • Quel a été ton parcours pour venir jusqu’ici ?  

C’est long ! Je pense qu’il y a eu  plusieurs points de départ ; un point important c’était quand j’étais expatriée en Asie, d’abord en Corée puis en Chine. Une amie coréenne m’a emmenée à la Foire d’Art contemporain et il y avait  un tableau de Lee Ufan, une de ses grandes toiles blanches avec une trace  de pigments bleu-gris subtils , ça m’a fascinée. Je ne sais pas si c’est LE point de départ, mais c’était en tout cas un point important. Ensuite, en Chine j’ai décidé d’apprendre la calligraphie et la peinture chinoise. ( j’avais pris des cours de langue, c’est important pour apprendre la calligraphie). Au  premier cours de peinture, le professeur, un vieux monsieur,  est arrivé, il a posé son pinceau quatre fois sur le papier et il y avait une fleur. C’était fantastique. A partir de là, j’ai décidé d’arrêter mon travail  à l’exposition universelle de Shanghai de me consacrer uniquement à la peinture. 

Plus récemment, à Lyon, -pendant le Covid j’étais rentrée en urgence d’Inde- je suis passée devant le Fort Saint-Laurent où résidait Superposition, par hasard, et je suis devenue artiste résidente chez eux. Cela m’a permis de collaborer ensuite avec la Cour des Loges en juillet. Cet été j’ai aussi exposé dans un musée au Portugal . Comment cela s’est fait ? C’était suite à une résidence d’artiste en 2018 : quand j’étais là bas,  j’ai découvert ce lieu, et ils m’ont invitée à exposer, toujours un peu par hasard !

  • Où, quand et comment t’es venu l’idée d’utiliser des pigments naturels ?  

C’est une vieille idée ! Depuis très jeune, je suis attirée par l’écologie et la nature. Les pigments, les matériaux , et même les outils utilisés en peinture chinoise sont vraiment des éléments naturels :  les papiers sont faits à la main à partir de plantes, les pinceaux sont en bambous , avec des poils d’animaux différents selon la souplesse ou la fonction du pinceau, l’encre est réalisée selon des recettes secrètes avec du noir de fumée et d’autres ingrédients, les pierres sur lesquelles on broie le bâton d’encre sont très recherchées et spécialement extraites dans certaines régions de Chine. Il y a toute une esthétique des pierres à encre ! Tout est naturel dans cette discipline. Quand je suis revenue en France et que j’ai pris des cours en école d’art, ça me gênait de n’utiliser que de la peinture chimique. J’ai alors testé mes propres recettes  avec des pigments trouvés au Conservatoire des ocres en Roussillon, dans la philosophie que j’avais apprise en Chine.

 

 

 

  • Pourquoi peindre sur du tissu plutôt que sur du papier ?

Dans la résidence d’artiste au Portugal en 2018 à Arraiolos, je n’avais pas possibilité de trouver des fournitures d’art, papier ou toile. Par contre, dans le village, il y avait une dame qui vendait de très beaux tissus en lin. C’est comme ça que j’ai commencé. J’utilise ce que je trouve sur place, autour de moi. Au Portugal c’était  le pigment bleu destiné à colorer les maisons, l’oxyde de fer utilisé pour les menuiseries, les roseaux trouvés dans mes balades pour suspendre le tissu, un balai végétal en guise de pinceau….

  • Quel est ton lien avec la région et l’industrie soyeuse lyonnaise ?

La soie est vraiment liée à mes racines : le fait d’être revenue en temps de crise dans la ville où je suis née et où j’ai tous mes liens familiaux, notamment une arrière-grand-mère qui était couturière à la Croix-Rousse, m’a amenée  à créer toute l’exposition avec cette matière. J’ai toujours connu la Chanson des Canuts, les tissus. La soie était donc une évidence. 

On parle beaucoup en ce moment de mondialisation, comme si c’était un phénomène récent, mais il y en a toujours eu ! De même sur la notion de migration.  L’endroit où je crée conditionne mon travail, je n’utilise que ce que je trouve sur place. 

 

 

  • Est-ce que tu as des sources d’inspiration ?

Quand je peins, je ne pense à rien. Je ramasse des impressions autour de moi, pour me concentrer uniquement dessus lorsque je trace mon trait. 

J’ai également lu beaucoup de traités de peinture et de calligraphie chinoises. Dans l’art occidental, je me suis intéressée beaucoup à l’expressionnisme abstrait, avec Pollock par exemple et l’importance de la gestuelle. 

Lee Ufan, que j’ai déjà évoqué, est aussi une inspiration fondamentale. Son œuvre interroge les relations entre l’art et soi-même, entre l’oeuvre et le spectateur, et aussi l’espace,  entre l’humain et la nature, avec une vraie dimension de profondeur ; et l’importance de la contemplation. Petite, et aussi maintenant ! je passais beaucoup de temps à regarder le mouvement des branches des arbres, l’eau des fleuves…

  • Quels sont tes futurs projets ? 

J’ai tellement enchaîné cet été ! Mais à long terme, j’aimerais créer des installations pour créer des sensations. Je voudrais aussi intégrer du son, comme au Museu da Luz où il y avait des bruits d’eau et d’oiseaux dans mon installation. J’aimerais vraiment aller vers le côté immersif, plutôt que le côté “tableau”. Ha oui, parmi les artistes qui m’inspirent il y a aussi Ernesto Neto.

  • Pourquoi ce titre d’exposition ?

En fait, le ver à soie est élevé par l’homme depuis plus de 4700 ans. Il n’existe plus à l’état sauvage.  Arrivé au stade de papillon (s’il n’est pas  étouffé avant pour récupérer la soie), il ne sait pas voler,  ses ailes sont atrophiées par les années de domestication … une référence à l’anthropocène, et à notre récent confinement peut-être….

 

  • Un mot de la fin ?

Je ne veux pas rentrer dans une démarche où lire le cartel est obligatoire pour comprendre l’œuvre. Je privilégie l’aspect purement sensuel, intuitif à mon travail, sans pour autant verser dans la simplification. 

 

 

Merci énormément à Carine Figueras pour avoir répondu à mes questions, pour sa gentillesse et sa bonne humeur !

Rédaction : Ambre Joulie 

Photographies : Lise Colombino 

 

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