Clotilde Jeannot, « Deeper than the sea… & autres histoires de Beans »
Le titre “Deeper than the sea… & autres histoires de Beans” est à la fois poétique et mystérieux. Peux-tu nous raconter comment il est né ?
Cette partie de l’expo est principalement liée à un voyage imprévu que j’ai fait à Mexico, à un moment de ma vie où j’avais besoin de me retrouver. Là-bas, le bleu s’est imposé de manière évidente. Après quelques semaines d’adaptation, je suis partie seule sur la côte, et un soir, face à l’océan, j’ai ressenti une émotion très forte. Ce sentiment d’être minuscule devant quelque chose de si noir, profond, intense. Je peignais déjà les œuvres de cette série, et ça résonnait profondément. Je me suis dit : “C’est plus profond que la mer.” C’était une manière de parler de l’étendue du possible, de l’inconnu, et du fait qu’on peut plonger au fond de soi et en ressortir changé, grandi. Sortir de sa zone de confort, en somme.
Pourquoi les “beans” ? D’où vient cette fascination ? Est-ce un motif récurrent dans ton travail ou spécifique à cette expo ?
Les Beans sont partout dans ma pratique. Ils sont le point de départ de ma recherche plastique. Ils sont arrivés à une époque où je passais beaucoup de temps devant l’ordinateur. J’avais besoin d’une pratique libre, sans contraintes, sans attentes, sans pression de réalisme. J’ai commencé à dessiner des vues de micro-organismes, de cellules… l’abstraction me permettait ce confort-là. Et puis ce motif des Beans est resté, au fil de mes expérimentations. À l’époque, je disais vouloir devenir illustratrice scientifique, peut-être une vocation inassouvie ? (rire) Aujourd’hui, je suis attachée aux Beans, mais je pourrais tout aussi bien utiliser une autre forme. Pour moi, ce sont des outils, un alphabet visuel que je peux convoquer à tout moment. Je suis une “beaneuse” (rire).
Comment cette exposition a-t-elle pris forme ? Était-ce une envie de longue date ou un projet plus spontané ?
La série sur Mexico était prête depuis la fin de mon voyage. J’avais envie de la montrer telle quelle, en cœur de l’exposition, pour raconter cette histoire de bout en bout. Mais il était aussi important pour moi de révéler la pluralité de ma pratique. Ce que j’aime, c’est la nouveauté constante, l’expérimentation.
Tu navigues entre plusieurs médiums et registres. Peux-tu nous parler de ce qui te nourrit, et stimule ?
Oui et non (rire). En fait, j’ai beaucoup de chance : absolument tout peut m’inspirer. Dans le quotidien, une promenade au parc, une lumière particulière dans les feuilles… comme une visite au musée. C’est large et toujours fertile.
Y a-t-il des artistes, des lectures, des expériences qui ont influencé cette exposition ?
Ce serait difficile de ne pas citer Klein, Matisse ou Frida Kahlo, surtout pour les couleurs. J’ai dix ans d’histoire de l’art dans mon bagage, donc beaucoup d’influences ne sont même pas conscientes. Mais en regardant mes œuvres ou en écoutant les retours, je reconnais ces références. Je consomme aussi beaucoup d’art contemporain, les couleurs vives, très présentes aujourd’hui, me parlent énormément. Et mon passé dans le design m’influence beaucoup : je suis très sensible à la manière dont certains grands studios abordent la multidisciplinarité.
Tu utilises différents médiums (textile, objets, dessin…). Comment choisis-tu la forme la plus “adéquate” pour une idée ?
Chaque projet commence souvent avec une intuition du médium, de ses possibilités, mais aussi de ses contraintes. Pour mon installation textile IN BETWEEN, par exemple, le textile s’est imposé rapidement : plus souple et plus pratique que le papier sur très grand format. Ici, le médium accompagne l’idée… mais il peut aussi la transformer. Je choisis ensuite un vocabulaire visuel adapté : compositions, répétitions, contre-formes, ou encore ce que je nomme les “salades de beans”, totems, intrus, bords perdus… J’ai une sorte de petite collection de langages visuels, sept ou huit pour l’instant. Et je travaille aussi beaucoup à l’opportunité, selon les rencontres ou les envies du moment.
Est-ce que cette diversité de pratiques est une manière pour toi de raconter plusieurs couches d’une même histoire ?
Mes Beans racontent différentes histoires. La collection des bleus, par exemple, reste dans le même récit, mais parfois, c’est l’histoire qui vient avant l’œuvre, et d’autres fois, c’est l’inverse. La composition Coquillages et Crustacés, par exemple, évoque une soirée des années 80, plage, parasol, maillot de bain (rire).
Quelle place laisses-tu à l’imprévu dans ton processus créatif ?
Alors moi, je suis plutôt team “control freak” (rire). Mon bagage en design m’a beaucoup formatée dans ce sens. Je me suis longtemps interrogée sur mon processus, et j’ai fini par considérer la fabrication manuelle comme une forme de méditation. Mais ce que je préfère, c’est vraiment la phase de conception, celle où l’on imagine, avec toutes les contraintes et les possibles. Cela dit, j’arrive à trouver de la joie dans l’imprévu. Même quand je n’arrive pas au résultat prévu, j’arrive à transformer ça en nouvelle idée.
Est-ce que l’humour a une place dans ton travail, même de manière subtile ou décalée ?
C’est une bonne question (rire) ! Ce n’est pas une recherche consciente, je ne cherche pas à produire un art joyeux. Mais je pense que ça transparaît, malgré moi. Ça correspond sans doute à ma personnalité, et ça se retrouve dans les titres de mes œuvres, par exemple, dans le ton. Ma pratique est avant tout une pratique de bien-être. Je suis heureuse quand je crée, et je crois que ça se sent.
Exposition « Deeper than the sea… & autres histoires de Beans », du 23 avril au 10 mai 2025 à la Galerie l’Alcôve