ALSo et Bleg – COMPLEXE SIMPLICITÉ
Le titre « Complexe Simplicité » parle d’un équilibre entre deux contraires. Qu’est-ce que cela représente pour vous deux ?
ALSo : Effectivement, quand on a cherché le titre de l’exposition, on a exploré des oxymores. Celui-ci nous a parlé, parce qu’on voulait montrer — et j’espère que c’est réussi — que même avec des univers opposés, on peut se retrouver et créer quelque chose d’harmonieux. Et je trouve que, finalement, cela fait écho à ce que l’on vit aujourd’hui : on peut avoir des avis ou des profils très différents et pourtant réussir à dialoguer et construire ensemble. C’est une signification presque sociétale.
Bleg : L’idée pour moi était de trouver un titre reposant sur une opposition forte, puisque nos univers sont complètement différents. Mon travail est très graphique : j’essaie d’aller vers la simplicité, vers des équilibres fins avec peu d’éléments. À l’inverse, la mosaïque est une accumulation de petits objets, de petits fragments, de verre ou de pierre, qui finissent par créer un ensemble uni. On trouvait intéressant d’opposer deux mots comme nos deux styles, très éloignés l’un de l’autre. L’idée était donc de créer un oxymore.
Vos univers sont très différents, mais ils se répondent bien. Comment avez-vous trouvé votre point de rencontre ?
ALSo : Je dirais qu’on s’est donné les moyens d’aller loin dans nos interprétations. Certains tableaux sont des réinterprétations du travail de l’autre. On ne s’est pas fixé de limites : Bleg m’a fait confiance et je lui ai fait confiance aussi. On ne s’est pas imposé d’orientation, ni d’éléments à intégrer par rapport à nos œuvres personnelles. Il y avait une confiance mutuelle, qui a été, je pense, très bénéfique pour réussir à se retrouver dans les œuvres.
Bleg : Tout simplement en échangeant des œuvres pour les réinterpréter. Un peu comme la pierre de Rosette a permis de lire les hiéroglyphes, la double lecture d’un même sujet — par exemple la réinterprétation de La Baignade à Asnières — permet de mieux comprendre le travail de l’un et de l’autre. On s’est aussi permis de donner à l’autre une pièce à moitié terminée et de le laisser intervenir sans aucune contrainte. C’est comme ça qu’ALSo, à partir d’un dessin sur bois, a créé des volumes pour Isis.
Comment avez-vous imaginé la scénographie pour que vos œuvres dialoguent dans l’espace ?
ALSo : On a équilibré les œuvres. Avec un nombre pair, on a quatre œuvres à quatre mains et quatre réinterprétations. Cela créait déjà une forme d’équilibre, cette « complexe simplicité », et ça nous a aidés à construire l’ensemble. Ensuite, on a voulu travailler toutes les deux des œuvres en volume pour occuper l’espace central de la galerie. On a donc réalisé une œuvre en volume à quatre mains, notamment pour travailler la partie visible depuis la vitrine.
Travailler à deux, c’est se confronter à une autre manière de faire. Qu’est-ce que cette collaboration vous a appris ?
ALSo : Déjà, que ce n’est pas facile. Il y a eu tout un temps de préparation auquel je n’étais pas habituée : d’habitude, mes expos sortent d’un travail intérieur de plusieurs mois. Là, sur les réinterprétations, il fallait trouver comment apporter sa propre patte tout en respectant l’identité de l’autre. En même temps, j’avais cette volonté que la mosaïque ne devienne ni du coloriage ni du remplissage : c’était vraiment mon fil conducteur. Ce n’était pas simple, mais la confiance dont je parlais a beaucoup aidé.
Bleg : Quand elle m’a dit : « Moi, je ne veux pas faire du coloriage », ça m’a intrigué. Elle a fait des choses que je n’aurais jamais imaginées. Elle a créé du volume à partir d’un projet qui, dans ma tête, était en 2D. Ça m’a montré que tout est possible : pourquoi rester enfermé dans du 2D ? C’est une ouverture vers une autre vision, qui pourra sûrement m’apporter dans le futur.
ALSo — Tu travailles à partir de fragments et de matériaux récupérés. Qu’as-tu voulu raconter à travers ces assemblages ?
Je vais prendre quelques exemples.
Pour Isis, le dessin représente la déesse égyptienne, réalisé par Bleg. J’ai ajouté, via la mosaïque, des éléments et de petits objets qui illustrent les pouvoirs d’Isis à l’époque. Le dessin donne la forme, et la mosaïque vient enrichir l’ensemble en apportant une dimension narrative.
Pour la réinterprétation de La Fin du Minotaure, j’ai créé Les Larmes du Minotaure. Là, je suis vraiment partie de la signification du tableau de Bleg plutôt que de son dessin. J’ai utilisé notamment des lettres en perles pour apporter de la douceur dans cet univers du Minotaure.
ALSo —Tes œuvres sont très colorées et lumineuses. Comment as-tu joué avec la sobriété de l’univers de Bleg sans perdre ton énergie visuelle ?
Pour moi, la sobriété était un terrain de jeu intéressant. Cela me semblait assez naturel d’aller vers quelque chose de plus simple. Et surtout, Bleg ne m’a jamais orientée ni limitée : il ne m’a pas dit comment il voulait que la mosaïque soit intégrée ou interprétée. Ça m’a laissée libre d’utiliser les couleurs, les formes et la complexité qui me caractérisent. Le titre Complexe Simplicité m’a aussi guidée : j’étais la complexité, donc j’y suis allée pleinement.
Bleg — Tes dessins vont à l’essentiel, avec peu de traits. Travailler avec ALSo a-t-il changé ta vision de la simplicité ?
Pas vraiment, même si son travail m’a fait réfléchir. Par exemple, La Cascade : le visuel est simple, mais quand on regarde le nombre de pièces et la découpe de chaque fragment, on comprend que c’est très complexe. Pourtant, le message passe immédiatement. Donc peut-être que la simplicité peut naître d’une accumulation d’éléments complexes.
Je pourrais intégrer cette complexité dans mon travail tout en gardant mes lignes simples : en créant de la texture, de la matière, en superposant des couches… Je le savais déjà, mais ça a renforcé cette idée.
Bleg — Tu viens souvent du grand format, du mural. Comment as-tu vécu cette rencontre dans un espace plus intime et partagé ?
J’ai déjà travaillé sur de petits formats, donc ça n’a pas trop changé mes habitudes. En revanche, travailler sur la matière a été nouveau. Par exemple, sur Le Prisme : travailler d’abord sur trois éléments, puis voir cette sorte de flamme se développer à l’intérieur… J’étais pas prêt, et je pense qu’aucun de nous ne l’était vraiment.
L’exposition COMPLEXE SIMPLICITÉ du 29 octobre au 15 novembre 2025 à la Galerie Alcôve
Crédit Photo : Sébastien Ferrarro
